Un autre débat, bref c'est compliqué:
Tout se joue entre 3 et 5 ansImage © Keystone
Alors que le canton de Fribourg se prononcera sur
HarmoS le 7 mars, des spécialistes soulignent que la scolarisation
précoce favorise l'apprentissage futur de l'élève et sa socialisation.
Sébastien Jost - le 21 February 2010, 22h14
Le Matin
A quel âge envoyer les enfants sur le chemin de l'école? 4 ans comme
c'est le cas dans bon nombre de cantons et comme le préconise HarmoS,
sur lequel les Fribourgeois se prononceront le 7 mars («Le Matin» du 19
février)? Ou à 6 ans comme c'est le cas dans les cantons qui n'ont pas
ratifié le concordat d'harmonisation scolaire? Une chose est sûre,
obligation ou pas, la plupart des enfants sont scolarisés tôt dans notre
pays. 86% des petits Suisses fréquentent l'école maternelle pendant
deux ans. «Vu notre mode de vie, les parents recourent de plus en plus
et de plus en plus tôt à des modes de garde extrafamiliaux, explique
Marcel Crahay, professeur en sciences de l'éducation de l'Université de
Genève. Par ailleurs, le développement psychologique et l'éducation d'un
enfant commencent à sa naissance. On sait que plus et mieux un enfant
est stimulé pendant les premières années, meilleur sera son
développement affectif et intellectuel. Dès lors la question qui se pose
est la qualité des lieux de garde extrafamiliaux: ceux-ci doivent
contribuer au bon développement des enfants. Pas question que cela reste
des garderies!»
Avantage significatif
Un avis partagé par
Isabelle Chassot, conseillère d'Etat fribourgeoise et présidente de la
Conférence suisse des directeurs de l'instruction publique (CDIP).
«L'étude PISA a montré l'importance de la première année enfantine sur
les résultats de toute la scolarité, explique-t-elle. C'est à cet âge-là
que l'enfant se développe le plus. L'école enfantine est essentielle
pour la formation de l'enfant.» Les résultats de PISA 2003 ont par
exemple révélé que, dans la majorité des pays qui ont participé à
l'enquête, les élèves qui ont fréquenté l'enseignement préscolaire
pendant plus d'un an bénéficient d'un avantage statistique significatif
par rapport aux autres élèves.
Le professeur allemand Norbert Huppertz, cité dans une étude
chapeautée par Avenir Suisse, soulignait à propos des enfants que «quand
ils ont atteint les 5 ans, en ce qui concerne le développement
psychologique, les principaux bagages cognitifs sont acquis.» Insistant
sur l'énorme potentiel d'apprentissage des enfants dans leurs premières
années d'existence, l'analyse précise que c'est dans les premiers 3 à 5
ans que se trouve l'intervalle de temps le plus important pour le
développement psychique et biologique du cerveau.
Justice sociale
Pour Isabelle Chassot, «l'école
enfantine permet à l'enfant de rentrer en douceur dans le milieu
scolaire. C'est souvent la première fois qu'il doit s'intégrer à un
groupe. Il apprend les règles de fonctionnement et cela lui permet de
s'ouvrir aux autres.» De son côté, Marcel Crahay estime qu'il faut
avancer l'âge auquel on va à l'école pour une raison de justice sociale.
«Il est prouvé que ce sont les parents des familles les moins cultivées
et/ou informées ainsi que les familles les plus démunies sur le plan
économique qui n'utilisent pas les services d'éducation préprimaire. En
avançant l'obligation scolaire, on amène ces enfants à l'école enfantine
ou maternelle, ce qui évite la production d'une inégalité entre ceux
déjà culturellement avantagés par leurs familles qui fréquentent l'école
enfantine et ceux qui ne la fréquentent pas.»
«Manque d'autonomie»
Dans cet océan de louanges,
certaines voix s'élèvent toutefois. Notamment, celle de Rudolf
Schmidheiny, coordinateur du Forum des parents Suisse et opposant à
HarmoS. S'il critique en premier lieu «l'idéologie antifamille» de
l'harmonisation scolaire et son caractère obligatoire, il ne voit pas
non plus d'un bon oeil l'école pour tous dès 4 ans. «Je suis convaincu
que les enfants ne sont pas encore socialisés à cet âge. Il est
désécurisant pour un enfant qui n'a pas pu développer ses racines de se
retrouver sur les bancs de l'école. La socialisation doit se faire à la
maison et en rencontrant des personnes d'âges différents et pas
uniquement des camarades du même âge comme cela est le cas à l'école.
Les enfants doivent côtoyer des personnes plus matures qui leur servent
d'exemple.» Il est également très critique envers la socialisation mise
en avant par les partisans de la scolarité précoce. «C'est un des effets
secondaires de cette pratique, mais il est présenté comme un des buts
de l'école. C'est vrai que les enfants apprennent à fonctionner en
groupe. Mais à voir les jeunes entre 10 et 15 ans, on se rend compte
qu'ils ne peuvent fonctionner qu'en groupe. Il leur manque de
l'autonomie.» De son côté, le conseiller national Ulrich Schlüer
(UDC/ZH) considère que 4 ans est l'âge idéal pour le jardin d'enfants,
pas pour l'école: «A cet âge, ils doivent profiter d'un espace de
liberté et non vivre les pressions de l'école qui va instaurer une
compétition pour voir qui est le meilleur.»